Lorsqu’il reprend la ferme familiale à Ostiches en 2018, Adrien Degavre décide d’ajouter des vignes à la centaine d’hectares de cultures traditionnelles de la ferme. Et cela marche !
[ Article publié le 5/9/24 dans Le Sillon belge ]
Petit village centré sur l’agriculture, Ostiches est rattaché administrativement à Ath et abrite un certain nombre d’exploitations agricoles, dont certaines particulièrement anciennes, comme celle de la famille Degavre installée dans un magnifique corps de ferme depuis 1772.
Souhaitant amorcer sa retraite, Marc Degavre vend en 2018 à son fils Adrien la moitié de l’exploitation, ses deux autres fils n’étant pas intéressés par une reprise. La polyculture (maïs, céréales, betterave, chicorée) est ici associée à l’élevage de blondes d’Aquitaine, une race bovine de grande taille réputée pour ses qualités bouchères.
« Lorsque j’ai repris, explique Adrien, mon père et moi avions déjà décidé en 2016 d’arrêter de traire (c’était alors la crise du lait – ndlr) et c’est pourquoi j’ai décidé de me diversifier en plantant les premières vignes en 2019. Aujourd’hui, la vigne a un peu grignoté du terrain à la grange qui sert à présent aussi d’espace de stockage et de travail pour le vin. »
Ingénieur industriel en agronomie formé à la Haute Ecole provinciale de Hainaut à Ath, Adrien a ensuite travaillé de 2015 à 2017 au Carah (le Centre pour l’agronomie et l’agro-industrie de la Province) où il fut notamment responsable des avertissements pour la lutte contre le mildiou de la pomme de terre en Wallonie. Le Carah gère également un petit vignoble pédagogique dont Adrien a suivi l’évolution.
« Après cela, poursuit-il, j’ai bifurqué vers l’enseignement agricole à la HEPH-Condorcet, à temps partiel (4/10), en même temps que je reprenais l’exploitation agricole. L’activité de professeur est plus facilement complémentaire avec la ferme, je ne dis pas que je peux aménager les horaires – ils sont imposés par l’école – mais jusqu’à présent je n’ai jamais dû déplacer des cours pour la ferme, c’était plus facilement compatible. Sans compter qu’il est intéressant pour les étudiants d’avoir quelqu’un du milieu. »

Première parcelle du Domaine – Marc Vanel
Motivation
Grâce à des conditions météo exceptionnelles, le millésime 2018 fut l’un des plus productifs pour la viticulture en Belgique, la production wallonne de vin passant en effet de 750.000 bouteilles à 1,35 million. Idem en Flandre d’ailleurs.
Ces circonstances exceptionnelles et la montée en force des cépages résistants ont motivé nombre de jeunes à se lancer dans l’aventure vinicole wallonne, et chose étonnante, surtout dans les exploitations agricoles. Il est évidemment moins onéreux de tenter l’expérience si l’on possède déjà des terres propices à la plantation.
« A l’époque, se souvient Adrien qui a aujourd’hui 34 ans, on voyait en effet que la vigne devenait dans l’air du temps. On voyait croître des vignobles comme Ruffus, le Domaine du Chant d’Ecole, le Domaine du Ry d’Argent, le Domaine de la Ferme du Chapitre, et c’était surtout des agriculteurs qui cherchaient à se diversifier. Cela avait l’air de marcher et de s’adapter au changement climatique.
Au début, mon père avait un petit peu peur, mais j’ai emmené mes parents voir d’autres vignobles en Belgique et ils ont alors reconnu que cela pouvait être intéressant. Je constate d’ailleurs qu’il s’est pris au jeu, car malgré qu’il soit fraîchement pensionné, il est quand même là tous les jours, il aime aider dans les vignes, faire le palissage, mais quand c’est plus technique, comme la taille, il préfère me la laisser. Il connaît bien sûr tout sur la ferme, il est polyvalent et a bien aidé pour adapter certaines machines comme un vieil extirpateur de mon grand-père pour le travail du sol, des machines qui faisaient trois mètres de large et que l’on a disquées et modifiées, ou encore un ancien pulvérisateur. Cela a permis d’adapter du matériel existant ou d’occasion. »
Cépages nobles
Pour ce qui est des variétés plantées, Adrien a dégusté nombre d’échantillons mais, confie-t-il, n’a pas été convaincu par les cépages résistants et a finalement opté pour le Chardonnay et les trois Pinots blanc, noir et auxerrois.
« En effet, je n’ai pas encore trouvé des bulles à base de cépages interspécifiques dont la qualité finale me plaisait vraiment. Je trouve les cépages traditionnels plus qualitatifs, je n’ai pas voulu prendre ce risque-là. Et puis, il faut avouer qu’un Chardonnay ou un Pinot noir est plus vendeur. Je n’ai pas non plus pris le risque de l’agriculture bio, car on n’a droit qu’au cuivre pour traiter et on va avoir de plus en plus de restrictions sur son usage. Des années comme celle-ci, ce serait difficile de bien se protéger. Il y a l’une ou l’autre alternative au cuivre, mais elles n’ont pas prouvé leur efficacité.
Dans le même esprit, jusqu’à présent, je ne pratique pas de désherbage chimique, même si cette année est très humide et que j’ai quelque difficultés à maîtriser l’enherbement. Les prochaines années, je m’accorderai peut-être un désherbage par an pour nettoyer au plus près des pieds si cela s’avère nécessaire. »
S’il n’était évidemment pas question de convertir la centaine d’hectares de l’exploitation, Adrien commença donc prudemment, le 27 avril 2019, avec la plantation de 12.000 pieds sur 2,2 hectares à l’avant de la ferme. La moitié de Chardonnay et le reste des trois Pinots.
Une deuxième parcelle fut ensuite plantée de l’autre côté du village en 2022, avec deux hectares de Chardonnay qui vont produire pour la première fois cette année. Juste à côté, l’exploitation vient d’être enrichie cette année de deux nouveaux hectares

Seconde parcelle – Marc Vanel
Une aide champenoise
Pour vinifier la production qui sortira de ces 6,2 hectares, Adrien a fait appel aux œnologues du groupe champenois Sofralab, acteur de référence sur le marché des produits œnologiques et services associés et déjà présent en Belgique, notamment via le Domaine des Hêtres.
« Je les ai rencontrés au salon VITeff à Epernay, se rappelle-t-il, consacré aux technologies des vins effervescents. Il s’agit d’un contrat d’un an avec prestation (actuellement) de Sébastien Mérigot qui fait réaliser les analyses en Champagne, les interprète et me conseille pour diverses choses, comme le sulfitage, la mesure de l’acidité, l’assemblage des vins… Nous faisons les tests de dosage ensemble : c’est toujours bien d’être conseillé par quelqu’un qui peut se projeter un peu mieux dans le vin. C’est un coût que l’on hésite à mettre au début quand on n’a encore rien à vendre, mais après, c’est vite amorti.
En dehors de ce bureau-conseil, j’ai surtout appris sur le tas, en échangeant avec les vignerons ou en lisant pas mal de bouquins aussi. Un ami brasseur me donne également quelques conseils, notamment surle travail et l’hygiène dans la cuverie. »
L’étape de la vente
Si ses compétences ont bien sûr aidé au succès des vins de ce qui est désormais le Domaine Degavre, Adrien a surtout été aidé par les belles médailles d’or remportées au Concours mondial de Bruxelles pour ses deux crémants, Blanc de Blancs et Blanc de noirs, issus de la récolte 2021, une année qui fut pourtant difficile en Belgique.
« En 2021, j’ai sorti 10.000 bouteilles, dont 2000 de blanc de noirs, et le double en 2022 mais avec une majorité de blanc de blancs. Je viens de présenter la nouvelle cuvée 2022, l’accueil fut très favorable. Pour la cuvée 2023, les bouteilles sont en cours d’élevage, mais les volumes ont légèrement augmenté, même si l’année fut plus compliquée pour le Pinot noir. Je vais également lancer une troisième cuvée 100% Chardonnay vinifiée dans des fûts de chêne belge de Barwal. J’entends bien continuer dans cette voie, car j’ai déjà commandé deux fûts supplémentaires… J’ai aussi commandé trois nouvelles cuves qui vont me permettre de développer une capacité de 500hl et, peut-être, de travailler avec des vins de réserve. »
« Pour la commercialisation, reprend le néo-vigneron, j’ai essentiellement démarché des cavistes des environs et autres magasins de produits locaux, mais j’essaie d’étendre le rayon d’action, notamment dans les restaurants où je fais déguster les deux cuvées médaillées.
La demande pour les bulles belges est croissante, mais j’espère que le nombre de projets ne va pas saturer le marché, surtout, vu nos investissements, qu’on est sur des prix élevés, il faut faire attention à cela. »

Adrien et Marc Degavre
Et 2024 ?
Comment se présenteront les prochaines vendanges au Domaine Degavre ? « L’année ne fut pas simple, avec notamment ce fameux orage du 9 juillet qui, en dix minutes, m’a fait perdre 30% du rendement de l’année. En dehors de cela, l’année fut généralement très pluvieuse et humide, avec un peu de coulure au mois de juin pendant la floraison – ce qui a amené également beaucoup de millerandage, en plus des dégâts de grêle.
Aujourd’hui, le mildiou est certes présent, mais uniquement sur feuilles, pas tellement sur grappes, cela fut maitrisé sans trop de problème. Les jeunes feuilles sont fort atteintes et je compte faire un troisième écimage cette année, alors que deux suffisent habituellement. On voit que la vigne a poussé tardivement, mais il y aura des raisins à récolter malgré tout, toutefois pas avant fin septembre ou début octobre. J’ai investi dans une vendangeuse mécanique qui devrait arriver tout prochainement, cela me permettra de vendanger ma deuxième parcelle et, à terme, de faire quelques prestations chez d’autres viticulteurs. »
La dégustation
Lors de notre visite, nous avons eu l’occasion de déguster les trois cuvées du Domaine, dont le Blanc de Blancs 2022 en avant-première. Celle-ci offre de fines bulles tumultueuses dans le verre, un joli nez et, en bouche, des touches de pomme verte, ainsi que de légères notes florales. Dosé à 7 grammes de sucre par litre, le profil de ce Crémant Blanc de Blancs ne manquera pas de séduire un très large public, soyons-en certains.
Cette cuvée 2022 avec un élevage de minimum 12 mois sur lattes s’inscrit dans la directe continuité du millésime 2021 qui offre toutefois une complexité légèrement supérieure grâce à un élevage de 18 mois sur lattes, au lieu de 12 l’année suivante.
Enfin, doté de légers reflets rosés, le Blanc de Noirs 2021 est élaboré avec 100% de raisins de Pinot noir. Avec son nez de petits fruits rouges – framboise surtout, sa bouche est plus ronde, plus vineuse, et appelle tout de suite à la gastronomie. Il accompagnera favorablement des crustacés, un poisson en sauce, ou un dessert de fruits rouges ou de fruits de la passion. Une belle réussite.
> L’adresse: chemin des Prés de Pidebecq 9 à 7804 Ostiches, pas encore de site web mais une page Facebook
Marc Vanel 14/3/25